samedi, février 02, 2019

L’IRRUPTION DES GILETS JAUNE DANS L’HISTOIRE SOCIALE FRANCAISE ET QUELQUES REFLEXIONS FUTURISTES ?


L’IRRUPTION DES GILETS JAUNE DANS L’HISTOIRE SOCIALE FRANCAISE ET QUELQUES REFLEXIONS FUTURISTES ?

Le mouvement des gilets jaune en cours est loin de livrer toutes ses incidences ; c’est une irrigation et construction nouvelle, inédite, confrontée à notre histoire sociale et politique.
Dans ces conditions, je ne peux ni livrer une analyse exhaustive, ni me livrer à un rappel historique de notre histoire sociale depuis l’existence éphémère des coordinations. Cependant, l’observateur social ne peut rester indifférent à ce qui se passe.

-       En premier lieu, certes, le mouvement des gilets jaune a débuté de façon spontanée, et a été porté par l’existence des réseaux sociaux. La réalité de ceux-ci a permis un maillage national sur le territoire avec certes des inégalités liées à des critères historiques, sociologiques, territoriaux, culturels, idéologiques, à l’expérience des mondes urbain et ruraux.
Cependant, il n’était pas totalement imprévisible !

-       Nous sommes encore dépassés par les technologies mises en œuvre sous l’angle que leurs incidences lors de leur utilisation ne sont pas toutes prévisibles ou recherchées. La nécessité du marché et de la rentabilité rapide sont des amortisseurs de leur portée réelle.
-       Malgré tout déjà l’existence de Facebook avait permis de constater l’organisation par des appels à des apéritifs populaires, puis avec le développement des réseaux sociaux avec le malaise social grandissant à la réalité de l’éclosion des Nuits debout ……
A celles et ceux : qui présentement font constater qu’à l’apogée de sa puissance le mouvement a mobilisé plus de 300.000 personnes soit moins que les grandes manifestations syndicales unitaires sur des mots d‘ordre partagés il ne faut pas comparer abusivement la comparaison. Les luttes syndicales depuis plus d’un siècle sont articulées à partir ou dans l’entreprise, les gilets jaune sont nés sur des ronds-points, leur composition est plus hétéroclite que le seul salariat et l’élaboration de leurs cahiers revendicatifs initialement s’inspiraient plus de ceux de 1789, que de la tradition syndicale.
Leur émergence a été favorisée par le constat actuel du fonctionnement économique et des relations sociales présentes en France. Ceci de par :

A)    La mondialisation et l’existence de l’UE (Union Européenne) éloignent les salariés produisant des biens et des services des centres de décision. L’impact des directives européenne, des lois de la concurrence du marché roi, font que l’existence récente à l’échelle de l’histoire des comités centraux de groupe et des coordinations inter confédérales par la CES (confédération européenne des syndicats) conduisent à des tâtonnements difficultés de fonctionnement, manque de moyens, éloignement.
Les résultats revendicatifs sont entravés par ce déploiement de structures supranationale et nationale.
Il est bien plus difficile d’obtenir des acquis revendicatifs parle rapport de force et en France l’éparpillement syndical accentué ces dernières années ajoute à la difficulté.

B)    En France, ces dernières années les corps intermédiaires syndicaux ont été ignorés ou utilisés tactiquement par les divers gouvernements ceci : non pas pour la richesse du dialogue social et ce qu’il porte par les luttes sociales mais comme moyen préventif ou de bonne conscience. Nicolas SARKOZY, cherchait le dialogue pour connaître et éviter les conflits. François HOLLANDE l’appelait de ses vœux, n’ était pas fermé au dialogue, mais en pratique, il impulsait une politique favorable aux grands groupes industriels et financiers. Emmanuel MACRON a ignoré les syndicats ; présentement, il indique vouloir les entendre mais reste convaincu qu’il a surtout à expliquer davantage pédagogiquement sa politique plus qu’à entendre et admettre que bien des inflexions ou changements de cap sont nécessaires = une politique particulièrement néfaste pour les retraités.



C)    La CFDT peut plaire de par le pragmatisme des propositions de ses dirigeants. Des positions modérées qui apparaissent de bon sens, réfléchies, mais qui sont souvent plus des interpellations à discuter qu’un véritable programme revendicatif pouvant inciter des luttes sociales et qui s’inscrivent dans la tradition moderniste actualisée. Avec Reconstruction au sein de la CFTC avant la création de la CFDT en 1964 ses théoriciens notamment enseignants avaient été captés par la définition du socialisme démocratique fait par le SPD à Bad Godesberg en 1959. Edmond MAIRE apporta une impulsion autogestionnaire, puis fit un recentrage adapté au         capitalisme moderne à la fin des années 70 notamment lors du congrès d’Annecy ! Cependant, il poursuivit pour l’essentiel la pratique des accords d’unité d’action conclu en 1966 avec la CGT par Eugène DESCAMPS et auquel se joignait souvent la FEN = l’appellation alors du syndicalisme des enseignants. Cependant, dans les années 75 encore, une majorité des membres de la commission exécutive de la CFDT étaient membres ou sympathisants du PS.

Nicole NOTAT a inscrit la CFDT dans une modernité d’accompagnement du libéralisme moins idéologique, inspirée par le rocardisme mais en s’attachant à donner à la confédération son créneau spécifique d’interlocuteur social incontournable du dialogue social dit exigeant.
Ses deux successeurs François CHEREQUE et Laurent BERGER avec leur histoire spécifique ont perpétué cette conception. Laurent BERGER est très attentif aux attentes des syndicats de base et il a une sensibilité particulière aux organisations de la société civile comme les ONG et associations.

D) La CGT a souvent été caricaturée. Il  n’y avait pas de lien de subordination de la CGT au PCF au temps de la grandeur de ce dernier lequel obtenait de 20 à 25% des suffrages lors d’élections de la fin de la seconde guerre mondiale à la fin des années 70.

Simplement de fait : l’idéal politique de transformation révolutionnaire par le parti, et la conception de la socialisation des grands moyens de production et d’échange par le Syndicat = conduisaient de fait à une conception que le syndicalisme de luttes et de classe constituait l’échelon élémentaire du rapport de classe par les luttes sociales avant celui de la prise du pouvoir par l’action politique.
De nos jours, le PCF n’a plus présentement le rôle dirigeant et dominateur au sein de la gauche politique, c’est un nouvel apprentissage pour la CGT de savoir que le débouché politique n’est plus certain et systématique. Elle veut rester un syndicat intraitable dans la défense des intérêts des travailleurs et des plus précaires, mais sans l’espérance politique ultérieure certaine.

Les gilets jaune qui se déclaraient apolitique et indifférents ou hostiles au syndicalisme de fait  = veulent réinventer une histoire sociale moderne mais en ignorant l’histoire. Ils proclament leur indépendance de jugement, mais au fur et à mesure : ils conjuguent action sociale et politique. Le mouvement a démarré contre les taxes sur le carburant, la vie chère, l’appauvrissement du pouvoir d’achat, puis s’y sont greffés des revendications politique citoyennes comme le RIC (référendum d’initiative citoyenne), et maintenant plusieurs listes sont annoncées en constitution pour les élections européenne……

Ils se rendent compte, que le corps intermédiaires qu’ils ignorent, ou de fait veulent s’y substituer sont nécessaires pour une certaine régulation sociale = la preuve : ils commencent par indiquer le parcours de leurs manifestations et organiser un service d’ordre. Ils perçoivent : qu’il faut des interlocuteurs désignés pour aller discuter avec les représentants du gouvernement. Ils sont incontestablement déterminés, courageux, créatifs, et la mouvance impulsée par Eric DROUET, me semble de façon moderne inspirée par les courants anarcho-syndicaliste du début du XXe siècle : nature des mots d’ordre, appel à la grève générale le 5 février, confrontation avec les forces de l’ordre si nécessaire.

E)Tout ceci, me renforce dans mon appréciation formulée depuis une dizaine d’années qu’il aurait fallu rendre obligatoire la syndicalisation. Les nouvelles technologies permettant de trouver des formes d’adhésion au syndicat de son choix sans passer par le prélèvement sur la feuille de paie par l’employeur respectant ainsi l’indépendance syndicale indispensable. Mais présentement, avec ce qui se passe, ce n’est pas d’actualité prioritaire.

F)     Alors quel avenir pour des types de mouvement type gilets jaune ?

Personnellement, avec les réseaux sociaux, on ne reviendra pas en arrière ! Il se poursuivra des formes spontanées de mobilisation : des sortes de lanceurs d’alerte sociales indiquant le sens avant d’être relayés par les confédérations syndicales !
Certes et notamment si un jour le syndicalisme était obligatoire il faudrait renforcer le contrôle des syndiqués sur l‘argent collecté et la décision des orientations.
Déjà en 1972, Georges SEGUY et Henri KRASUCKI avaient eu cette anticipation démocratique pour ce qui concerne la CGT. Lors du CCN (Comité confédéral national) à l’île de Ré ; les syndicalistes avaient débattu du poids de l’opinion publique, de la nécessité de rechercher des mouvements majoritaires par la pratique permanente de la démocratie ouvrière (l’ensemble des salariés), puis de la démocratie syndicale (avec les adhérents.)

Les événements qui suivirent ne permirent pas de concrétiser cette aspiration visionnaire. J’ai parlé précédemment des évolutions de la CFDT et mon objectif, ce jour, n’est pas celui de faire un tour d’horizon pour chaque centrale syndicale.

FO (Force ouvrière) avec l’écroulement du système communiste à l’Est, a perdu l’une des raisons de sa constitution.
Cette confédération reste attachée à la charte d’Amiens et au contrat (la politique contractuelle) si représentée par l’ancien secrétaire général de la centrale André BERGERON. FO reste attachée à la défense des acquis sociaux et des statuts particuliers et à la protection sociale dans la lignée du courant mutualiste.


Alors : quel avenir pour le mouvement social en France ? Je ne lis pas dans le marc de café !

S’il n’y a jamais un syndicalisme  obligatoire avec un rôle accru des syndiqués, je crois au rôle de lanceurs d’alertes sociales spontanées reprises par les corps intermédiaires, ceci,  car malheureusement le libéralisme intransigeant ne connait ni miséricorde, ni justice sociale
Ensuite, reste le choix politique des électrices et électeurs et de ce point de vue : il y a certainement à inventer de nouvelles formes d’expression et de participation citoyenne.

Copyright Guy CREQUIE
Ancien dirigeant syndical interprofessionnel – écrivain avec des réflexions personnelles comme observateur social

Auteur de « L’itinéraire d’un ancien dirigeant syndical devenu messager de la paix » Editions Edilivre Paris janvier 2019