L’IRRUPTION
DES GILETS JAUNE DANS L’HISTOIRE SOCIALE FRANCAISE ET QUELQUES REFLEXIONS
FUTURISTES ?
Le
mouvement des gilets jaune en cours est loin de livrer toutes ses incidences ;
c’est une irrigation et construction nouvelle, inédite, confrontée à notre
histoire sociale et politique.
Dans
ces conditions, je ne peux ni livrer une analyse exhaustive, ni me livrer à un
rappel historique de notre histoire sociale depuis l’existence éphémère des
coordinations. Cependant, l’observateur social ne peut rester indifférent à ce
qui se passe.
-
En premier lieu, certes, le mouvement des gilets jaune a débuté de façon
spontanée, et a été porté par l’existence des réseaux sociaux. La réalité de
ceux-ci a permis un maillage national sur le territoire avec certes des
inégalités liées à des critères historiques, sociologiques, territoriaux,
culturels, idéologiques, à l’expérience des mondes urbain et ruraux.
Cependant,
il n’était pas totalement imprévisible !
-
Nous sommes encore dépassés par les technologies mises en œuvre sous l’angle
que leurs incidences lors de leur utilisation ne sont pas toutes prévisibles ou
recherchées. La nécessité du marché et de la rentabilité rapide sont des
amortisseurs de leur portée réelle.
-
Malgré tout déjà l’existence de Facebook avait permis de constater
l’organisation par des appels à des apéritifs populaires, puis avec le
développement des réseaux sociaux avec le malaise social grandissant à la
réalité de l’éclosion des Nuits debout ……
A
celles et ceux : qui présentement font constater qu’à l’apogée de sa puissance
le mouvement a mobilisé plus de 300.000 personnes soit moins que les grandes
manifestations syndicales unitaires sur des mots d‘ordre partagés il ne faut
pas comparer abusivement la comparaison. Les luttes syndicales depuis plus d’un
siècle sont articulées à partir ou dans l’entreprise, les gilets jaune sont nés
sur des ronds-points, leur composition est plus hétéroclite que le seul
salariat et l’élaboration de leurs cahiers revendicatifs initialement
s’inspiraient plus de ceux de 1789, que de la tradition syndicale.
Leur
émergence a été favorisée par le constat actuel du fonctionnement économique et
des relations sociales présentes en France. Ceci de par :
A)
La mondialisation et l’existence de l’UE (Union Européenne) éloignent les
salariés produisant des biens et des services des centres de décision. L’impact
des directives européenne, des lois de la concurrence du marché roi, font que
l’existence récente à l’échelle de l’histoire des comités centraux de groupe et
des coordinations inter confédérales par la CES (confédération européenne des
syndicats) conduisent à des tâtonnements difficultés de fonctionnement, manque
de moyens, éloignement.
Les
résultats revendicatifs sont entravés par ce déploiement de structures
supranationale et nationale.
Il
est bien plus difficile d’obtenir des acquis revendicatifs parle rapport de
force et en France l’éparpillement syndical accentué ces dernières années
ajoute à la difficulté.
B)
En France, ces dernières années les corps intermédiaires syndicaux ont été
ignorés ou utilisés tactiquement par les divers gouvernements ceci : non pas
pour la richesse du dialogue social et ce qu’il porte par les luttes sociales
mais comme moyen préventif ou de bonne conscience. Nicolas SARKOZY, cherchait
le dialogue pour connaître et éviter les conflits. François HOLLANDE l’appelait
de ses vœux, n’ était pas fermé au dialogue, mais en pratique, il impulsait une
politique favorable aux grands groupes industriels et financiers. Emmanuel
MACRON a ignoré les syndicats ; présentement, il indique vouloir les entendre
mais reste convaincu qu’il a surtout à expliquer davantage pédagogiquement sa
politique plus qu’à entendre et admettre que bien des inflexions ou changements
de cap sont nécessaires = une politique particulièrement néfaste pour les
retraités.
C)
La CFDT peut plaire de par le pragmatisme des propositions de ses dirigeants.
Des positions modérées qui apparaissent de bon sens, réfléchies, mais qui sont
souvent plus des interpellations à discuter qu’un véritable programme
revendicatif pouvant inciter des luttes sociales et qui s’inscrivent dans la
tradition moderniste actualisée. Avec Reconstruction au sein de la CFTC avant
la création de la CFDT en 1964 ses théoriciens notamment enseignants avaient
été captés par la définition du socialisme démocratique fait par le SPD à Bad Godesberg
en 1959. Edmond MAIRE apporta une impulsion autogestionnaire, puis fit un
recentrage adapté au capitalisme
moderne à la fin des années 70 notamment lors du congrès d’Annecy ! Cependant,
il poursuivit pour l’essentiel la pratique des accords d’unité d’action conclu
en 1966 avec la CGT par Eugène DESCAMPS et auquel se joignait souvent la FEN =
l’appellation alors du syndicalisme des enseignants. Cependant, dans les années
75 encore, une majorité des membres de la commission exécutive de la CFDT
étaient membres ou sympathisants du PS.
Nicole
NOTAT a inscrit la CFDT dans une modernité d’accompagnement du libéralisme
moins idéologique, inspirée par le rocardisme mais en s’attachant à donner à la
confédération son créneau spécifique d’interlocuteur social incontournable du
dialogue social dit exigeant.
Ses
deux successeurs François CHEREQUE et Laurent BERGER avec leur histoire
spécifique ont perpétué cette conception. Laurent BERGER est très attentif aux
attentes des syndicats de base et il a une sensibilité particulière aux
organisations de la société civile comme les ONG et associations.
D)
La CGT a souvent été caricaturée. Il n’y avait pas de lien de
subordination de la CGT au PCF au temps de la grandeur de ce dernier lequel
obtenait de 20 à 25% des suffrages lors d’élections de la fin de la seconde guerre
mondiale à la fin des années 70.
Simplement
de fait : l’idéal politique de transformation révolutionnaire par le parti, et
la conception de la socialisation des grands moyens de production et d’échange
par le Syndicat = conduisaient de fait à une conception que
le syndicalisme de luttes et de classe constituait l’échelon élémentaire du
rapport de classe par les luttes sociales avant celui de la prise du pouvoir
par l’action politique.
De
nos jours, le PCF n’a plus présentement le rôle dirigeant et dominateur au sein
de la gauche politique, c’est un nouvel apprentissage pour la CGT de savoir que
le débouché politique n’est plus certain et systématique. Elle veut rester un
syndicat intraitable dans la défense des intérêts des travailleurs et des plus précaires,
mais sans l’espérance politique ultérieure certaine.
Les
gilets jaune qui se déclaraient apolitique et indifférents ou hostiles au
syndicalisme de fait = veulent réinventer une histoire sociale moderne
mais en ignorant l’histoire. Ils proclament leur indépendance de jugement,
mais au fur et à mesure : ils conjuguent action sociale et politique. Le
mouvement a démarré contre les taxes sur le carburant, la vie chère,
l’appauvrissement du pouvoir d’achat, puis s’y sont greffés des revendications
politique citoyennes comme le RIC (référendum d’initiative citoyenne), et
maintenant plusieurs listes sont annoncées en constitution pour les élections
européenne……
Ils
se rendent compte, que le corps intermédiaires qu’ils ignorent, ou de fait
veulent s’y substituer sont nécessaires pour une certaine régulation sociale =
la preuve : ils commencent par indiquer le parcours de leurs manifestations et
organiser un service d’ordre. Ils perçoivent : qu’il faut des interlocuteurs
désignés pour aller discuter avec les représentants du gouvernement. Ils sont
incontestablement déterminés, courageux, créatifs, et la mouvance impulsée par
Eric DROUET, me semble de façon moderne inspirée par les courants
anarcho-syndicaliste du début du XXe siècle : nature des mots d’ordre, appel à
la grève générale le 5 février, confrontation avec les forces de l’ordre si
nécessaire.
E)Tout
ceci, me renforce dans mon appréciation formulée depuis une dizaine d’années
qu’il aurait fallu rendre obligatoire la syndicalisation. Les nouvelles
technologies permettant de trouver des formes d’adhésion au syndicat de son
choix sans passer par le prélèvement sur la feuille de paie par l’employeur
respectant ainsi l’indépendance syndicale indispensable. Mais présentement,
avec ce qui se passe, ce n’est pas d’actualité prioritaire.
F) Alors quel avenir pour des types de
mouvement type gilets jaune ?
Personnellement,
avec les réseaux sociaux, on ne reviendra pas en arrière ! Il se poursuivra des
formes spontanées de mobilisation : des sortes de lanceurs d’alerte sociales
indiquant le sens avant d’être relayés par les confédérations syndicales !
Certes
et notamment si un jour le syndicalisme était obligatoire il faudrait renforcer
le contrôle des syndiqués sur l‘argent collecté et la décision des orientations.
Déjà
en 1972, Georges SEGUY et Henri KRASUCKI avaient eu cette anticipation
démocratique pour ce qui concerne la CGT. Lors du CCN (Comité confédéral
national) à l’île de Ré ; les syndicalistes avaient débattu du poids de
l’opinion publique, de la nécessité de rechercher des mouvements majoritaires
par la pratique permanente de la démocratie ouvrière (l’ensemble des salariés),
puis de la démocratie syndicale (avec les adhérents.)
Les
événements qui suivirent ne permirent pas de concrétiser cette aspiration
visionnaire. J’ai parlé précédemment des évolutions de la CFDT et mon objectif,
ce jour, n’est pas celui de faire un tour d’horizon pour chaque centrale
syndicale.
FO
(Force ouvrière) avec l’écroulement du système communiste à l’Est, a perdu
l’une des raisons de sa constitution.
Cette
confédération reste attachée à la charte d’Amiens et au contrat (la politique
contractuelle) si représentée par l’ancien secrétaire général de la centrale
André BERGERON. FO reste attachée à la défense des acquis sociaux et des
statuts particuliers et à la protection sociale dans la lignée du courant
mutualiste.
Alors : quel avenir pour le mouvement social en France ? Je ne
lis pas dans le marc de café !
S’il
n’y a jamais un syndicalisme obligatoire avec un rôle accru des
syndiqués, je crois au rôle de lanceurs d’alertes sociales spontanées reprises
par les corps intermédiaires, ceci, car malheureusement le libéralisme
intransigeant ne connait ni miséricorde, ni justice sociale
Ensuite,
reste le choix politique des électrices et électeurs et de ce point de vue : il
y a certainement à inventer de nouvelles formes d’expression et de
participation citoyenne.
Copyright
Guy CREQUIE
Ancien
dirigeant syndical interprofessionnel – écrivain avec des réflexions
personnelles comme observateur social
Auteur de « L’itinéraire d’un ancien dirigeant syndical
devenu messager de la paix » Editions Edilivre Paris janvier 2019